Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de MARIE DUVAL écrivain-cinéaste passionnée par l'humain ET.. la botanique
Le blog de MARIE DUVAL écrivain-cinéaste passionnée par l'humain ET.. la botanique
Menu
Je suis contre la peine de mort et pourtant quand ....

Je suis contre la peine de mort et pourtant quand ....

Je suis contre la peine de mort et pourtant quand ....je lis ce texte magnifique, je ne sais pas... je ne sais plus.

 

 

 

 

 

D’ordinaire, on ne met pas de choses personnelles sur ce blog. Mais c’est aussi une bataille pour les libertés. Mon père est mort. J’ai fait un petit texte pour son enterrement, le voilà, les mots sont mes seules armes. Que ceux qui peuvent s’en émouvoir en mesurent, pour moi, l’importance.

 

Auvers-sur-Oise, le 21 juin.

Merci, d’abord, d’être là, dans cette église d’Auvers, qu’il a aimé, qu’il a peint, qu’il a copié, dans l’ombre inquiète de Van Gogh, dont il n’avait, sans doute heureusement pour nous, pas le génie mais une partie de la douceur et de l’anxiété.

Il a longtemps habité dans la maison, ici, en contre-bas, dont le jardin remontait presque jusqu’aux marches de l’église, c’est resté sa vraie dernière demeure : un jour d’égarement, il y a un mois, il attendait un taxi pour y retourner. Il voyait de son jardin le clocher, carré, immobile, serein, qui apaisait son besoin de lignes simples, calmes et ordonnées. Il a toujours préféré peindre des rues plutôt que des paysages, et des paysages plutôt que des hommes. Peut être parce qu’il avait besoin d’éternité, peut être parce que ça bouge moins.

Papa était bon croyant, mais piètre catholique. Il allait à la messe, pour faire plaisir à Marie-Pierre, parce qu’il disait qu’on pouvait bien perdre une heure pour Dieu, et parce qu’il se disait in petto qu’on ne sait jamais, il est toujours prudent d’avoir deux fers au feu. Guy avait gardé de ses jeunes années, lorsqu’il était berger, une tendresse pour la nuit. Il nous disait qu’il ne fallait pas avoir peur de la nuit, que son étoile, l’étoile du berger, la première à apparaître, était là pour nous protéger. La leçon a porté, je la guette, le soir, dès que l’on sort des lumières de la ville, et j’en parle à mes enfants.

Avec la maladie, la peur est venue. Il redoutait l’arrivée du soir, il ne comptait plus en jours, mais en nuits, terrorisé par l’arrivée des cauchemars, des souvenirs de mort, de la guerre, des mille petites souffrances et des terreurs d’enfant qu’on enterre pendant sa vie d’adulte, et qui reviennent en grimaçant avant la fin. Il n’en avait jamais parlé, il a fallu attendre ces dernières semaines pour apprendre quelques bribes, incohérentes, il parlait de ces fantômes du passé en tremblant - hors de lui – terrifié.

C’est l’une des grandes leçons que je retire de ses derniers jours, et qu’il nous faut comprendre, nous et ses petits-enfants : il ne faut pas garder au fond de soi nos terreurs minuscules, il faut en parler, les apprivoiser, pour sinon s’en débarrasser, au moins vivre avec. Papa n’a pas su, elles sont remontées quand il ne pouvait plus lutter, je vous assure qu’il en a eu une peur horrible.

Ce ne sont pas des choses qui se disent, mais qui le dira ? Son agonie a été terrible. Après seize ans de maladie de Parkinson, son corps s’est refermé sur lui, il est mort enterré vivant dans une enveloppe qui n’était déjà plus la sienne. Il faut mesurer cette lente descente aux enfers, marche après marche. La première fois qu’il n’a plus réussi à peindre. La première fois qu’il a perdu l’équilibre sur une échelle. La première fois qu’il a renversé son verre en essayant de l’attraper. La première fois qu’il n’a pas eu le temps d’aller aux toilettes. La première fois qu’il bougeait trop pour parler au téléphone. Horrible maladie, qui veut que dans une même journée, soit on bouge trop, soit pas assez.

Il n’avait encore rien vu. Après il a fallu supporter l’humiliation de porter des couches, d’être déshabillé par ses enfants, de se faire essuyer les fesses par des inconnues, d’entendre les infirmières lui claironner aux oreilles, « il a bien mangé, monsieur Johannès ? Il a fini son petit yaourt ? » Plus il devenait grabataire, plus les gens pensaient qu’il était sourd – il y avait erreur sur la personne. L’une des dernières fois qu’il a pu manger à la cuillère, l’un de ses derniers repas en réalité – c’était de la blédine au goût brioché. Je lui demandais si c’était bon, si c’était chaud, toutes ces choses idiotes qu’on dit quand on fait manger quelqu’un qui n’a pas dit un mot depuis deux jours. Il m’a juste répondu, « arheu, arheu », avec ce terrible sens de l’humour très noir, souvent d’un goût douteux, qui est la seule chose incontestable qu’il nous ait légué.

Après, bien sûr, les choses ont empiré. Il voulait mourir chez lui, auprès de nous. On l’a retiré de l’hôpital, un grand mouroir très propre, pas loin d’ici, le docteur nous a dit, « Vous êtes admirables, démerdez-vous ». Papa voulait mourir. Il avait essayé une fois. Même ça, ça lui a été refusé. Il ne pouvait plus parler, presque plus ouvrir les yeux, mais il entendait tout. Imaginez ce long cauchemar, ce que c’est que d’être emmuré dans son corps, dans un silence contraint, de ne plus pouvoir bouger les jambes, de ne plus pouvoir manger, ne plus arriver à aspirer un peu de jus d’orange avec une paille, puis d’avoir les mâchoires serrées à jamais, qui ne répondent plus, qui vous ferment définitivement tout contact avec l’extérieur.

Lui était là-dedans. Deux semaines. A compter les jours, les nuits. Assommé de morphine, se réveillant d’un sommeil trouble, avant d’attendre dans une semi-conscience de tomber un peu plus bas. Je sais qu’il se disait, « mais qu’est-ce que vous foutez ? » On a fait ce qu’on a pu, on le lui disait. Parfois il avait juste une larme, nous on pleurait pour lui, difficile de croire qu’un corps aussi menu que celui de Marie-Pierre, ma mère, ait pu contenir tant de larmes.

En France, l’euthanasie est interdite. Nous avons été l’un des derniers pays d’Europe à interdire la peine de mort, nous serons l’un des derniers à légaliser l’euthanasie, la contradiction n’est qu’apparente. On ne meurt pas de la maladie de Parkinson. Papa avait un cœur d’acier et des poumons d’airain, il aurait pu vivre un siècle. En France, on n’abrège pas les souffrances – on les soulage. Papa ne pouvait plus manger ni boire ? On lui a donné de la morphine, avec des doses de cheval, et il a fallu attendre qu’il meurt de faim et de soif, les médecins ont fini par nous le dire franchement.

Vous mesurez l’horreur et la barbarie ? Hippocrate avait vraiment voulu ça ? Que tous ceux qui aimaient Guy n’oublient pas son calvaire, il a adhéré à une belle association, du coup moi aussi, qui milite pour le droit à mourir dans la dignité. C’est une belle formule. Elle lui a été interdite. La loi Leonetti de 2005 a fait un pas en avant, mais un pas seulement. Que chacun de nous, avec ses moyens, se battent pour faire avancer les choses. Pour papa, mais aussi pour nous, qui sait ce que l’avenir nous réserve.

Maintenant il a retrouvé la paix. Papa était croyant, à moitié boudhiste. Il croyait aux esprits, en la réincarnation, à son ange gardien qui se promenait, présence apaisante, autour de lui. Un jour, à l’hôpital, il nous a supplié de demander qu’on arrête les somnifères, parce qu’il dormait sans rêves et ne pouvait plus entendre son ange gardien. Les derniers jours, l’angoisse avait chassé l’ange. Je suis bien sûr qu’il est revenu et qu’il flotte aujourd’hui autour de nous, avec ce demi-sourire mystérieux qu’on retrouve sur la cathédrale de Reims, et que Papa aimait tant.

 

ADMD, Association pour le droit de mourir dans la dignité, http://www.admd.net/, 50, rue de Chabrol, 75010 Paris

 

3 réponses à Le sourire de l’ange
  1. Bjr,

    Je pense très sincèrement qu’il faut vivre cela pour le comprendre.

    Cela a été mon cas pour mon père et maintenant je souhaiterais pouvoir militer pour cette cause.

    Sur le coup lors de la maladie vous culpabilisez de souhaiter la MORT de quelqu’un mais avec le recul vous arrivez à comprendre pourquoi vous pensiez cela.

    NATHALIE

    Rédigé par : NATHALIE | le 02 juillet 2011 à 15:34 | | Alerter |
  2. Franck:

    je suis touchée par ce billet: bien sûr que vous avez raison d’écrire cela, c’est dur la mort d’un parent. Je me souviens de celle de mon père: il ne voulait pas que je vienne le voir! Avoir honte de soi , juste avant le grand voyage! Moi j’ai pris mes habits de fille, et pour une fois, moi la rebelle, la chieuse qui l’avait emmerdée parce que je lui serinais que j’étais anarchiste, et que je voulais rejoindre la bande à Baader (dans les années 70) il était militaire et gaulliste! j’ai dû faire face à son dernier jour, seule! Effectivement le médecin à qui je confiais mon angoisse m’avait dit: » Démerdez vous!  »
    Alors , moi qui ne touchais jamais mon père, j’ai posé ma main sur la sienne, froide, juste avant le grand voyage, et ravalant l’angoisse de voir ce père angoissé, je l’ai remercié: pour ce qu’il nous avait apporté, à mon frère et à moi. Et , auprès de lui pour savoir que sa vie n’avait pas été très heureuse, je lui ai dit que ce serait mieux la prochaine fois. Et pour finir, je lui ai lu les belles paroles de la chanson d’un ami qui s’appelle: « le checheur d’or »;
    après cela, j’ai posé mes valises et j’ai pleuré. J’ai senti que vivre la mort de son père est une nouvelle étape vers ce qui semble être l’acceptation: des départs qui déchirent, de l’absence, du silence, en un mot de sa propre mort, qui avance doucement, dans les grandes épreuves des départs des gens qui nous constituent, dont nous sommes faits.
    Affectueuses pensées, amigo.

    Rédigé par : aurore | le 02 juillet 2011 à 15:40 | | Alerter |
  3. Merci. Je suis soulagée que votre père ait pu trouver enfin le repos. Mon mari et moi, étant maintenant sur le versant descendant, faisons des provisions pour que, le jour fatidique, on ne puisse nous refuser un départ dans la dignité. Nous ne supportons plus les discours légnifiants des fameux soins paliatifs.

source :

http://libertes.blog.lemonde.fr/2011/07/02/le-sourire-de-l%e2%80%99ange/