Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de MARIE DUVAL écrivain-cinéaste passionnée par l'humain ET.. la botanique
Le blog de MARIE DUVAL écrivain-cinéaste passionnée par l'humain ET.. la botanique
Menu
Quel prix littéraire ?

Quel prix littéraire ?

EXTRAIT

"Un jour je m’aperçus que je pensais.

Le jour où elle mourut, c'était en juin. Le plus beau mois de l'année. On l'avait installée dans sa chambre à couture, là où elle avait passé sa vie de recluse, dans une maison qu'elle détestait, en granit - et le granit, radioactif paraît-il, peut rendre fou- ce qui n'arrangeait rien. Elle ne pouvait plus parler, plus crier. On pouvait enfin l'approcher. Des villageois du cru étaient là et veillaient. Les fenêtres étaient ouvertes. Dehors le soleil resplendissait. La maison était étrangement calme. J'avais tant pleuré tout le trajet que mon âme était comme apaisée, sereine. Personne ne pleurait.

Mon père et mes frères étaient dans la cuisine. Je les y rejoignis. Le jardin regorgeait de fraises parfumées qu'on venait de cueillir. La mort à deux pas, nous dégustâmes tous les quatre les fraises délicieuses dans une quiétude que la maison n'avait quasiment jamais connue.

On ne parlait pas. On mangeait. Tranquillement

Avant ce n'était que cris et hurlements.

Personne ne parlait. Alors moi je dis que “c'était mieux ainsi”. Mon frère riposta faiblement et affirma que la vie était quand même préférable à la mort. Mais sa vie à elle avait été pire que la mort.

Nul ne pouvait imaginer ce qu'avait été ces années sans nom. Non, nul ne pouvait !

Depuis toujours, les plantes de la maison mouraient les unes après les autres. Après sa mort, mon père en introduisit à nouveau. Pour la première fois, la maison respirait et les plantes que ma mère auparavant tuait par ses cris, se mirent à foisonner, magnifiques.

La maison dégageait une telle sérénité… Et c’était si soudain qu'on se serait cru au paradis après l'enfer.

Le cadavre était toujours dans la pièce à côté. La mort ne me faisait pas peur. J'allai me coucher, la pièce juste au dessus. Je me dis que je ne réalisais pas, que le lendemain cela me ferait quelque chose. Mais le lendemain, la même sérénité que la veille m'accueillit au réveil. La maison dormait encore.

Je descendis au rez-de-chaussée, pénétrai religieusement dans la chambre à couture. Le corps de ma mère reposait sur une longue planche que l'on avait posée sur une table trop courte. Je m'approchai. Je lui parlai lentement, doucement, comme il n'avait jamais été possible de lui parler avant. Son visage exprimait une telle décontraction qu'elle était méconnaissable. La mort l'avait rendue vivante. Je m'approchai et l'embrassai. On ne s'était jamais embrassées, sauf lors des anniversaires - allez savoir pourquoi. J'en étais alors si retournée que je bégayais bêtement la même chose et répondais moi aussi “bon anniversaire”.

Je m'approchai plus près du visage et eut un violent mouvement de recul. Elle avait repris vie. Elle n'était pas morte. Pendant une seconde, je restai pétrifiée. Les cris allaient reprendre. Sa vie de merde allait se remettre en branle. Je sortis à reculons de la pièce. Mon père venait de se lever et s'avançait dans le couloir. Je le bousculai et lui criai dans les oreilles “elle n’est pas morte. Elle est vivante !!”. Il me prit pour une folle et ne m'écouta pas. Je l'entraînai de force dans la pièce. Le visage de ma mère était devenu rose, ses lèvres avaient une teinte d'un rouge subtil... indéniablement le sang s'était remis à circuler !

Mais mon père, malgré la surprise que je vis subrepticement poindre dans ses yeux, ne s'y laissa pas prendre. Lui non plus n'aurait pas souhaité revivre une seconde de plus les affres de l'abîme qu'il avait subis durant vingt années.

Sur ces entrefaites ma grand-mère arriva. J'étais tétanisée. Elle me sourit ; habilement, elle lui avait maquillé les joues et les lèvres, mais de manière si délicate que le diable lui même s'y serait mépris!

Ma mère ne nous avait jamais fait de mal, croyait-elle. C'était une femme bonne mais malade. Elle n'avait jamais su nous toucher, nous embrasser, nous parler, sans parler de nous faire rire. Elle n'avait fait que son devoir : nous offrir à manger convenablement, nous vêtir de vêtements qu'elle nous fabriquait dans des tissus que j'exécrais et qui me rendait ridicule aux yeux des autres élèves.

Elle avait essayé la méthode Ogino pour ne pas avoir d'enfants. Elle en avait eu trois, dont moi en premier. Une fille. “Les garçons, disait-elle, donnaient moins de soucis”.

Du coup, j'avais pissé au lit jusqu'à sept ans et refusé de manger jusqu'à la même période.

Le cadavre était toujours là. Depuis trois jours. Je ne sais pas pourquoi on le gardait si longtemps. Et toujours ce soleil de juin. Des journées resplendissantes ! Un soleil éclatant qui réchauffait les os, mes os en verre par manque de calcium car elle n’avait jamais ingurgité de sa vie aucun laitage.

Le corps restait intact. Et chacun de s'en étonner. Pas une odeur… Au contraire, plus le temps passait, plus il semblait se revivifier. Le défilé continuait. On avait mangé toutes les fraises du jardin. On en avait donné aux voisins venus veiller la morte et même à d'autres. Ma mère aussi aimait donner. Cela on ne pouvait pas le lui reprocher.

Le temps était suspendu. Mon état intérieur était toujours le même. J'avais déjà remarqué que la mort crée parfois en son halo une sorte de calme “biblique”. Si ma mère avait les traits reposés, il en était de même pour moi. Je resplendissais. Je n'avais jamais été aussi rayonnante.

L'enterrement eut finalement lieu. Les funèbres zèbres arrivèrent en grande pompe, enfilèrent ma mère dans un long plastique noir, puis la déposèrent dans un cercueil à l‘arrière du véhicule. La voiture démarra. Ma mère était partie pour toujours.

Mes frères, mon père et moi nous retrouvâmes au premier rang dans l'église. Le curé nous sortit son laïus hypocrite : une femme admirable, que dieu avait rappelée à lui... alors que comme tout un chacun dans la commune, il connaissait la pauvre vie qu'avait connue ma mère. Mon petit frère et moi - face à de telles inepties, et comprenant soudain la vie qu'aurait pu être la nôtre et le gâchis de ces années- tous deux, de concert, nous partîmes dans des sanglots qui nous étouffaient, nous échappaient, que nous ravalions, qui ressortaient, qui duraient et n'en finissaient plus de durer. La messe prit enfin fin. C'est dire si c'était long !

Les pleurs se firent plus discrets. Le trajet jusqu'au cimetière était court.

On descendit le cercueil en terre.

Chacun y alla de sa poignée. Poignée de terre. Poignée de mains.

Puis tout le monde se retrouva au bar du coin.

Respire !

Extraits du roman "Les fleurs ne se posent pas tant de questions" de Marie DUVAL

Quelques premiers commentaires :

Florence Ronveaux June 12 at 6:57pm

Super !! style court et percutant. Osé. engagé; j'aimerais écrire comme ça.

Olivier Milchberg ·

Quelle belle plume!!! C'est vivant comme si on y était.
Et quelle magnifique façon de parler de la mort.
Oui, tout est une question de points de vues, la mort souvent délivre celui qui part, mais aussi ceux qui restent.

Corinne Duval

Merci pour ce partage, Marie.

Baux Francis

"Merci ma mère ! je suis celui qui marche, une vipère au poing." ( page 254 du livrede Poche de Bazin : Viipère au Poing)
Ici nous sommes à la page 3 ou 4 ? d'un beau début...merci Marie pour ce partage , la suite du même cru serait de bonne augure...

Marie Poppins

j'adore ton style et cette partie donne envie d'aller plus loin !

Laurence Micallef

Excellent !!!! Je veux aussi la suite !!!!

Guy Birenbaum

Bien écrit et touchant.

Vous pouvez aussi mettre votre avis uniquement dans la rubrique "Commentaires" ou bien sur Twitter https://twitter.com/MARIEDUVAL1

Quel prix littéraire ?